Un positiviste têtu

Le très médiatique philosophe Michel Onfray, publie un pamphlet - Le crépuscule d'une idole - attaquant violemment Freud et la psychanalyse. C'est un best-seller comme en 2005 Le livre noir… À quoi peut tenir l'audience de tels ouvrages et quelle fonction de symptôme tient-elle dans notre culture ? Ne faut-il pas résister ? Nous donnerons trois feuilles successives pour esquisser des pistes de réponses.

Freud ne se faisait pas d'illusions : l'accueil réservé à sa théorie naissante serait mauvais. Le conformisme et l'antisémitisme viennois ne pouvaient qu'être hostiles à une idée juive. La référenceà la sexualité fournissait aussi un motif de rejet… Mais Freud dira, bien des années après le premier choc, que le rejet de la psychanalyse tient finalement à l'endommagement narcissique qu'elle impose à l'homme, en le destituant d'une place d'exception comme l'avaient déjà fait Copernic et Darwin.

On ne s'attendrait guère aujourd'hui comme en 1900, 1920 ou 1939 à trouver les mêmes sources aux mises en cause les plus rudimentaires de la psychanalyse. À moins que - surprise ! - des mélodies aux accents modernistes ne mettent en musique de vieilles antiennes…

La fascination de la nature :
À voir combien certains adversaires de la psychanalyse veulent assimiler l'homme à l'animal, il semble qu'ils veuillent " réparer " le narcissisme humain par une surenchère. Rejoindre Darwin pour se débarrasser de Freud, s'en remettre à une religion fusionnelle de la nature. Oui, nous sommes des animaux ! Mieux nous ne sommes que des animaux. Témoignent de cette idée les programmes socio-biologiques plus ou moins avoués où l'on réduit à des déterminismes évolutionnistes l'ensemble des comportements sociaux, culturels et relationnels. La sexualité y est naturellement en bonne place. C'est une façon assez radicale de la nier, non comme ensemble de comportements tangibles, mais en tant qu'humaine au-delà de la seule " cause " reproductive. Est-ce si loin du refoulement bourgeois qui n'en voulait rien savoir ?
La découverte de la sexualité infantile - quand on se donne la peine d'y penser - signale que rien dans la reproduction ne vient réglementer et rendre signifiant le plaisir sexuel pour lequel a priori tout fait ventre ! Et le complexe d'Œdipe - dont on nous dit a) " je ne l'ai pas eu " (M. Onfray qui en parle comme de la grippe prend le Pirée pour un homme) mais, b) qu'il est universel puisqu'on l'a découvert chez certains singes ! - manifeste qu'une loi est indispensable pour séparer le sujet de l'objet de sa jouissance.
Sans doute est-ce là un des éléments moteurs du refus de la psychanalyse. Elle ne permet plus d'espérer trouver dans l'harmonie naturelle des stimuli-réponses, besoins-objets, les moyens de la plénitude de la satisfaction. Celle-ci est conditionnée par un effet de discours - la civilisation. Doit-on le déplorer si on comprend que la référence à la " nature des choses " est le moyen de cautionner les hiérarchies et les possessions de fait, l'ordre social établi par la force. Et plus encore, de légitimer une opposition féroce à toute intervention politique correctrice. C'est la société de la prédation et de la termitière des Thatcher, Reagan, Bush et autres Parisot et traders ! Les lois du marché !
En donnant les moyens de critiquer l'idéologie scientiste-naturaliste dominante qui est l'armature " intellectuelle " du libéralisme, la psychanalyse ne peut pas être accueillie favorablement par les agents multiples de diffusion de cette idéologie laquelle, par ailleurs, en impose en se proclamant abusivement de science du progrès.

Le savoir contre l'inconscient :
Sans doute, en hommes du XIXe siècle, bien des adversaires de la psychanalyse restent fascinés au XXIe par la croyance positiviste. Pour eux, la connaissance sera - pourvu qu'on soit patient - sans limite et l'action humaine rationnelle, bonne et sans bornes.
Il leur est donc nécessaire de nier l'inconscient freudien en le confondant avec l'irrationnel, l'ignoré, l'inconnu ou le dissimulé. Beaucoup pensent que l'ignorance résulte de l'action d'un pouvoir : on tait ou falsifie le savoir pour dominer. Et ce n'est certes pas totalement faux. La responsabilitédu citoyen est de lutter contre l'ignorance.
Mais ce que la psychanalyse nous a révélé c'est que cette connaissance du vrai, il est possible que l'homme n'en veuille pas autant qu'il le prétend ! Il y a une part en chacun d'insu déterminé à résister. C'est cette part que la psychanalyse participe à réduire. Le refoulement qui nourrit l'in-conscient n'est pas l'effet d'une force de répression extérieure (comme le pensaient W. Reich ou Marcuse), mais un processus dont le sujet est - non pas maître - mais responsable. Et c'est le refoulement qui permet la répression. Il suffit de considérer l'état mental de ceux qui exercent ou aspirent seulement à exercer la maîtrise.

La violence théorique de ces propositions tire peut-être à des conséquences insupportables. En effet, ce n'est pas satisfaisant pour l'orgueil humain qui préfère se poser en victime de forces externes malveillantes qu'il peut décider de combattre. La psychanalyse propose de considérer aussi - mais tout est là - la jouissance à oeuvre non seulement dans le pouvoir, mais dans l'aliénation. Sans doute reprend-elle à frais nouveaux la question de la servitude volontaire , par quoi à l'orée des temps modernes était génialement repéré un des enjeux majeurs de la civilisation. Mais elle dé-place cet enjeu du seul plan moral à celui de la structure. Autrement dit, entrer dans le désir de l'autre pour ne pas assumer le sien est la passion à laquelle est tenté de s'abandonner tout sujet. C'est en ce sens qu'il faut entendre l'aphorisme lacanien qui indique que la seule faute morale est de " céder sur son désir ".

Or le discours scientiste promet aujourd'hui de nous affranchir de tout désir, par le savoir et la gestion, le calcul et la programmation. Cela suppose que les " trois métiers impossibles " dont parlait Freud, gouverner, éduquer et soigner sont requis d'œuvrer en ce sens avec les conséquences néfastes qui peuvent être observées quotidiennement.

À suivre…

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