Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire
Remise du prix de poésie Yves Cosson à
Jean Lavoué

Nantes, le 14 mai 2019



C'est avec une grande joie que nous apprenons que Jean Lavoué reçoit cettte anné le prix Yves Cosson de poésie de l'Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire. Il rejoint la belle compagnie, entre autres, de Jean-Pierre Boulic et Jean-Claude Albert Coiffard dont Des Sources et des Livres ont eu l'honneur d'avoir été choisie par chacun pour éditer un de leurs ouvrages.
Jean Lavoué a été présent lors de la toute première activité proposée par Des Sources et des Livres. Il en est un ami fidèle et a participé ultérieurement à deux conférences données à Faugaret (une consacrée à Féli de Lammenais, l'autre au sculpteur Pierre de Grauw
).
La consultation de ce lien donne une description de l'important travail éditorial de Jean Lavoué qui embrasse outre la poésie, la critique littéraire, la réflexion philosophique et spirituelle et des recherches sur le travail social (il a dirigé un service de protection de l'enfance).

Ils sont tous des artistes qui accompagnent Jean Lavoué pour former sa forêt.

Le rythme de la poésie de Jean Lavoué émane de la nature et invite à vivre dans une création incessante. Pour lui notre terre et notre ciel sont le bonheur de notre regard et le levain de notre joie.

Ici, l’humanisme est présent partout. Essentiel à la vie sur notre terre. Il donne toute valeur à l’existence de chaque homme pour réaliser son passage et respecter les échanges.

Vos poèmes sont les liens solidement animés par le langage de justesse et de beauté.

Vous savez bien « nommer les choses », ce que Confucius appelle « le Juste nom » dans ses entretiens. Rigueur qui permet à vos lecteurs d’entrer dans votre poésie et d’y trouver les chemins de la naissance à leur propre poésie.

« Que la lumière soit ton chant », nous dites-vous dans « Ce rien qui nous éclaire » et nous partageons cette invite…

« Descendre au plus noir de la nuit

Pour y trouver les germes de lumière »


« Nous ferons place en nous à l’homme »


« Honore ce rien qui t’apaise

Laisse-toi susciter par ce vent inconnu ! »

Textes glanés dans « Fraternité des lisières »


« Le poème est le plus court chemin

Du silence à la joie »


Quand vous dites « bruissement fraternel » et « ce tremblement d’homme » à propos de René Guy Cadou, ne sommes-nous pas au cœur de l’humanité ?

Dans tous vos poèmes, chantés par les saisons dans le silence de l’arbre et de l’homme, l’espace devient mon espace et la vision du monde de l’arbre ma propre vision.

Je découvre le simple de l’arbre dans son origine. Le silence inventé par Jean Lavoué rend aigu l’écrit de la couleur et de la nature.

Tel un « chant ensemencé », vous nous livrez le vrai de la nature, le vrai du sens de la vie et la force des liens étroits qui s’établissent entre le lecteur et vous, Jean Lavoué.

Accompagnés par vos ouvrages que, tous, vous pouvez découvrir maintenant, comme moi vous vivrez intensément la Joie de votre poésie.

Merci de nous livrer tant de bonheur, tant de silence, tant de nature.

À Jean Lavoué de tout cœur. Vive la poésie !

Paul Morin



Paul Morin présentant Jean Lavoué



C’est avec une vive émotion que je reçois aujourd’hui de votre Académie ce prix Yves Cosson de poésie 2019.

Surprise et gratitude sont les mots qui me viennent tout d’abord. Et aussi reconnaissance à votre égard, amis aujourd’hui réunis : je ne peux nommer chacun mais je sais que, d’une manière ou d’une autre, vous avez partie liée à cette création commune… Vous m’avez accompagné sur ce chemin d’humanité où nous cherchons les uns et les autres à entendre quelque chose de cet essentiel qui nous dépasse ; nous savons bien que nous n’avons pas prise sur lui mais aussi que sans nous rien ne pourrait être entendu de son secret...

Parmi mes ambassadeurs en Pays Nantais, je citerais malgré tout, outre Ghislaine Lejard qui m’avait déjà invité voici quelques années au Passage Sainte-Croix pour parler poésie, Nathalie Fréour qui a magnifiquement illustré plusieurs des ouvrages publiés par L’enfance des arbres et qui a elle-même composé, à partir de mon blog, l’un des recueils « Chant ensemencé », Yves Fravalo qui a soutenu d’une préface et d’une lecture commentée deux de mes ouvrages, Jean-Claude Coiffard qui a composé l’un des premiers recueils, « Encre de mer », publié par ma toute nouvelle maison d’édition…

De fait, ces dernières temps, mon aventure d’écriture poétique se confond-elle avec celle de la création de cette petite maison d’édition à Hennebont, près de Lorient, au début de l’année 2017. Depuis sont sortis une quinzaine d’ouvrages avec une douzaine d’auteurs et d’artistes différents.

C’est aussi dans ce cadre que j’ai moi-même rassemblé les textes poétiques partagés au jour le jour sur mon blog ainsi que sur les réseaux sociaux. Blog qui, depuis un peu plus de dix ans, portait déjà ce nom « L’enfance des arbres ». Un texte récent de février 2019 sera lu tout à l’heure : il évoque un peu de quelle source mystérieuse et poétique est né ce nom, «  L’enfance des arbres ».

Après plusieurs ouvrages en prose, c’est donc cette écriture poétique qui s’est imposée à moi lorsque, en 2014, avec l’arrêt ma vie professionnelle, j’ai eu davantage de disponibilité. La plupart de ces poèmes sont nés de longues marches, notamment au bord du Blavet ou en forêt… Ainsi la marche est-elle devenue pour moi, au cours de ces dernières années, consubstantielle à l’écriture.

En 2017, juste au moment où je venais de créer « L’enfance des arbres », la maladie est venue sensiblement modifier le rythme et la nature de mon existence et donc de l’écriture. Mais grâce à quelques clairières de silence, de marche retrouvée et de répit, le chant a pu continuer à se donner. Quelques-uns des poèmes de mon recueil « Chant ensemencé », ont ainsi été composés tandis que j’arpentais les longs couloirs de l’hôpital de Lorient, sur les quais du Scorff entrevus à travers les hublots.

J’insiste sur le don et le partage au jour le jour de ces textes, car sans ce lien quotidien avec blog et réseaux sociaux, parfois tant décriés, rien, je le crois bien, n’aurait eu lieu de cette aventure : cette nouvelle étape dans mon chemin d’écriture fut tissée d’un dialogue incessant. Chaque projet de poème, de recueil, d’édition est né d’une attention aux besoins spirituels de notre temps dont la soif d’une poésie sensible à l’intériorité était pour moi le signe… Beaucoup d’initiatives sont d’ailleurs venues des lecteurs eux-mêmes, attentifs à ces partages… Tant de belles rencontres…

Ce prix Yves Cosson, lui-même, est aussi un peu, me semble-t-il, le fruit de tout ce qui circule de bienveillance et d’amitié sur ces réseaux.

D’emblée c’est donc à la poésie, à l’intériorité, à l’art aussi, que les ouvrages de « L’enfance des arbres » se sont trouvés consacrés. Les manuscrits se sont présentés d’eux-mêmes…

Nous avons tous besoin, je crois, de retrouver ces espaces où la parole, cessant d’être fonctionnelle, répétitive, ou seulement utilitaire, laisse surgir en chacun de nous le goût d’un élan, d’un silence, d’une attention réconciliée avec la vie.

Cela, je le ressens intensément à recevoir tant d’échos à propos de ces textes simples, souvent proches de l’actualité et des drames que nous vivons : en dépit de ceux-ci continue à trembler dans le cœur de chacun une petite flamme imprenable.

C’est à transmettre cette flamme de la joie, sans rien nier des bourrasques ni des obscurités qui la menacent, que sont consacrés la plupart de ces textes reçus comme un chant. Le rythme de la marche a sûrement aussi joué dans le lyrisme de beaucoup d’entre eux.

Petit à petit, au fil d’une décennie d’un tel partage j’ai de plus en plus éprouvé cette écriture comme une terre d’enracinement : un lieu d’appel intérieur, une « vocation » peut-être comme l’on disait autrefois. Mais pas, au sens religieux du terme. Bien plutôt au sens de ce qui monte du cœur de toute femme et de tout homme aujourd’hui, confronté au vide et à l’incertitude de beaucoup de nos anciennes croyances : dans le silence qui se fait alors, chacun peut entendre monter en lui cette voix nécessaire : auteur ou lecteur, n’est-ce pas d’abord à cette écoute fondamentale que nous sommes alors conviés de façon vitale ?

Je conclurai mon propos par ceci qui me touche tout particulièrement. Pendant 18 mois, en 2014 et 2015, profitant de l’arrêt de mon activité professionnelle, je suis venu plusieurs fois consulter des correspondances au Fonds René Guy Cadou de la médiathèque Jacques Demy de Nantes. J’ai ainsi rassemblé des notes qui sont restées, jusqu’au début de cette année, les éléments d’un ouvrage en jachère que je souhaitais consacrer à ce grand poète du pays nantais. Il accompagna, comme pour beaucoup d’entre nous, mes premiers pas dans l’écriture. Gilles Baudry me transmit l’étincelle. Le prix Yves Cosson, son ami, vient pour moi comme un encouragement à achever maintenant cette tâche. C’est cette approche d’une existence et d’une œuvre poétique pétries d’intériorité que j’aimerais évoquer dans ce livre : montrer toute l’actualité et la modernité de cette aventure humaine et spirituelle exceptionnelle qui fut celle de René Guy et d’Hélène Cadou.

Merci encore à vous de tout cœur !


Jean Lavoué




Je fréquente des mots simples :

Soleil, silence, lumière,

Absence, présence. 


Je les fais virevolter 

Comme la ruche ses abeilles. 


Je ne tiens aucune démonstration

Pour certaine : 


Le parfum des matins

Est sans pourquoi.


Seul peut deviner 

Celui qui s’est laissé brûler 

Au sel de la joie.

                                                                       Jean Lavoué


L’enfance des arbres,

Ce n’est pas seulement se réjouir qu’un arbre soit jeune,

Encore en devenir et plein de promesse,

Mais c’est envisager que chacun de nous

Nous devenions des arbres,

Des pousses pleines d’ardeur et de vie

Dans la forêt humaine…


C’est prendre force de toutes nos cicatrices,

De chacun de nos bourgeons vulnérables,

Guetter la fête du printemps,

Se tenir libres et debout

Dans la clarté d’un jour nouveau,

Paisibles avec nos naufrages

Conciliants avec nos hivers,

Capables d’entrevoir encore

La promesse d’une terre compagne des oiseaux,

Veilleurs de toutes les beautés qu’elle recèle.


L’enfance des arbres, c’est que nous soyons enracinés dans l’audace,

Puissants d’une Parole invincible

Gorgés de sève et d’avenir,

Considérant chaque être dans son égale dignité,

N’ayant d’autre autorité que celle qui grandit au dedans de nous.


L’enfance des arbres c’est que nous soyons

Poreux à toute lumière,

Éveillés par l’odeur du grand vent,

Attentifs au moindre insecte,

Passionnés par les matins,

Tendres avec les couchants,

Émerveillés par les couleurs de l’automne

Comme par les caresses du gel,

Compatissants avec nos ombres, nos feuilles mortes,

Nos écorces et nos racines,

Dociles avec les nuits qui s’achevaient toujours par un grand éveil blanc,

Capables de demeurer longtemps silencieux, immobiles,

Contemplant le soleil irradiant nos veines et nos douleurs.


L’enfance des arbres, c’est être précédés par le chant des saisons,

Illuminés par la ferveur de vivre,

Goûtant en toutes choses la Joie.

                                                                                                        Jean Lavoué,

                                                                                       26 février 2019